Echo de la soirée Littérature et psychanalyse à la Bibliothèque de Soissons
Sous le titre Décliner son identité, Elisa Cuvillier nous a présenté sa lecture de la pièce de Jean Anouilh, Le voyageur sans bagage, écrite en 1937, premier grand succès d’Anouilh, qui s’appuie sur l’histoire vraie de l’amnésique de Rodez.
Avec précision Elisa Cuvillier a donné à entendre la complexité de cette œuvre à facettes : comédie, drame, quasi vaudeville parfois, selon un genre à la mode à l’époque, il s’y dessine peu à peu une sorte de mise en abîme vertigineuse de ce que veut dire une identité.
En effet, l’empressement soudain des notables à lui permettre de retrouver sa famille, vient faire voler en éclats l’image paisible qu’il avait construite, et soudain le poids et la férocité du passé se dévoilent à lui, passé dévorant qui menace peu à peu de détruire le seul moi qu’il se connaisse : celui qu’il s’est constitué pendant les 18 années passées à l’asile, depuis son retour de la guerre à l’âge de 18 ans. Deux moitiés de vie, deux moitiés de sujet, deux moitiés de poulet pour qui se souvient de l’anecdote de Lacan : mon premier livre de lecture avait pour premier texte une histoire qui s’appelait « Histoire d’une moitié de poulet ». C’était vrai, c’était de ça qu’il parlait. Ce n’est pas un oiseau plus facile à attraper que les autres quand la condition est de lui mettre du sel sur la queue. Ce que j’enseigne, depuis que j’articule quelque chose de la psychanalyse, pourrait bien s’intituler « Histoire d’une moitié de sujet ».
Voilà donc Gaston le Voyageur sans bagage, sans héritage, sans filiation, sans passé, sans identité, attaché au seul moi qu’il connaisse, ce jardinier de l’asile, qui cultive son jardin, voilà que la rencontre avec une famille quelconque, (qui est en fait sa véritable famille), qui veut se l’approprier, va permettre de faire advenir quelque chose de sa vérité sous un nouveau masque qu’il se choisit.
A partir d’un refus de se soumettre aux assignations que lui imposent tous les membres de cette famille certains de le reconnaître, se produit un renversement de situation loufoque, grâce à une contingence dont il se saisit, qui opère une véritable destitution subjective, et lui permet d’inventer un signifiant nouveau qui désormais pourra le représenter. Il se joue dans cette pièce quelque chose du parcours d’une analyse nous dit Elisa Cuvillier, où en effet un savoir nouveau advient, et révèle que la vérité n’est pas toute, qu’elle a structure de fiction, qu’elle ne peut que se mi-dire.
Avec cette troisième version très convaincante de ce que la recherche éperdue d’identité peut entraîner comme dommages collatéraux, après les femmes encabanées que nous avait présentées Martine Besset , puis le duo Romain Gary-Emile Ajar évoqué en avril , cette soirée éclaire les deux précédentes et contribue à cerner une passion étrange, qui justement se défie de l’étrangeté et de l’étranger.
Catherine Stef